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Perspectives n°45

Dans mon dernier édito du PERSPECTIVES Musique & Danse , j’avais promis de revenir sur l’idée “neuve” présentée par l’actuel Ministre de la Culture pour orienter sa politique : cette notion de “Culture pour chacun”.
La citation empruntée à André Malraux, incontournable référence culturelle de la droite française, est particulièrement mal choisie. Quand il s’adresse à l’Assemblée nationale, le 27 octobre 1966, Malraux a une grande ambition : traduire budgétairement ses orientations politiques.
L’honnêteté intellectuelle aurait consisté à ne pas sortir la phrase de son contexte et citer la suite : “Cette tentative signifie que nous devrions, dans les dix ans, avoir en France une maison de la culture par département.
Qu’explicite donc ce « chacun » qui vient s’opposer à « tous » dans le texte rédigé par le conseiller du Ministre de la Culture « Culture pour chacun. Programmes d’actions et perspectives »*, Francis Lacloche ? Si les inégalités devant la culture n’ont pas reculé, la faute en serait aux “élites”, qui prenant prétexte d’une culture pour tous, aurait imposé ses propres normes, contribuant à une “intimidation sociale” éloignant le peuple de la culture légitime.Cet intérêt soudain pour la culture du peuple va dans le sens de l’enfermement des groupes et des communautés dans “leur” culture originaire.
De plus, “Culture pour tous” ramène, à mauvais escient, à une vision collectiviste (l’anticommunisme serait-il encore payant ? )
Et puis “Culture pour tous”, qui s’en réclame exclusivement ? Nous sommes à tout moment tous et chacun.
Veut-on régler leur compte aussi bien aux artistes (l’art n’est jamais nommé, on parle plutôt d’“élites”) qu’aux acteurs du monde socio-culturel ?
Quel grief peut-être adressé à l’Education populaire ? N’a t’elle pas été un formidable moteur de démocratisation ?
Il ne faut pas opposer le monde associatif, dit des socio-culturels, et le monde des arts. Il faut au contraire développer leur décloisonnement, favoriser leur rencontre, mettre en jeu leur complémentarité.
C’est une des préoccupations constantes de l’ADDMD11. Ce n’est pas chose facile, il faut de l’ambition, et aussi des moyens.
Dans le cas du conseiller Lacloche, la « culture pour chacun » sert surtout à justifier la baisse de fi nancements de l’Etat.
Un seul exemple : où sont passés les crédits de l’éducation artistique ?
Comme la nôtre, de nombreuses voix s’élèvent pour combattre ce texte, des articles ont paru, des manifestations ont eu lieu, et pour faire face à cette levée de boucliers, le Ministère a organisé une série de Forums dans les Régions. Il en résulte un progrès considérable dans les termes du nouvel intitulé, servant de pare-feu, pondu par le Ministère : “Culture pour tous, Culture pour chacun, Culture partagée “ qui ne peut qu’inviter à l’assentiment général.
Mais je suis persuadé que la politique culturelle du Ministère est bien celle développée dans le ballon d’essai de Monsieur Lacloche.
Elle correspond parfaitement aux directions prises dans les autres secteurs de la société par ce gouvernement : opposer les catégories, favoriser les grands groupes de média, transférer les budgets sur les collectivités territoriales.
Non, je ne crois pas que la Culture est l’ennemie de la Culture, je crois que l’Art n’a un effet d’intimidation sociale que s’il est confisqué et confi né, et non, je ne crois pas que la démocratisation culturelle a échoué. Des progrès considérables ont été effectués dans les cinquante dernières années. Il y a encore beaucoup de travail à accomplir, dans les villes, les quartiers, les villages, dans tout l’espace public.
Avec les résidences Musiques actuelles et Danse mises en oeuvre depuis quelques années avec l’aide du Conseil Général, nous nous y sommes attelés.
Patrick Oustric, Président

*On le trouve in extenso sur ce lien : http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/document-brut-49062